La forum des pilotes privés, comme Pilotlist, sont des familles. Et depuis plus de 15 ans, je donne des nouvelles de mon évolution pro, parce que c'est avec l'aide de personnes du forum et de Pilotlist que je suis arrivé là où je suis aujourd'hui. En 2009, je racontais ma joie de
devenir pilote professionnel, en mars 2010 celle de mon
premier vol en tant que pilote pro, dans la même boîte que PH, qui avait poussé mon CV, en 2017 j'évoquais mes
premiers vol aux commandes d'un avion de ligne, et l'année suivante,
mon départ de Cityjet pour partir chez HOP. Il est tant de vous raconter la suite !
Il est 0130Z, soit 4h30 en Arabie Saoudite sur notre droite et 3h30, en Egypte, à gauche. Nous survolons la mer Rouge et le commandant de bord baille. Ca fait déjà 6 heures que nous avons décollé de la piste 12 de l'aéroport Roland-Garros de la Réunion, à la masse de 329 tonnes, il reste encore plus de 5 heures de vol, et comme il a choisi le dernier repos, il doit attendre encore un peu plus d’une heure avant d’aller dormir sur la couchette, pour prendre la place du deuxième copilote (qui a pris le deuxième repos).
- Tu veux faire une sieste ?
- Oui, je veux bien, me répond-il.
Quelques minutes plus tard, il s’endort. Me voilà seul aux commandes du Boeing 777, ayant en charge près de 500 âmes (494 pour être précis). L’avion file vers Paris, à Mach .85. Tout est calme. Je me penche pour contempler l’immense ciel étoilé, et je repense au récit que j’ai relu récemment. Il est intitulé “Seul” :
“Bon, je me repose un peu”, a dit le Captain. Cinq minutes plus tard, je me suis retourné, le mécanicien dormait aussi. Seul au monde. J’ajuste bien mon siège. Par 44 nord et 35 ouest, je suis seul à veiller sur le 747, 520 personnes derrière moi. Quoi de plus gratifiant qu’une lourde responsabilité ? Déjà, à mes côtés, ces deux types chevronnés qui s’endorment comme ça en me faisant totale confiance. Je n’en reviens pas. Ici s’intercale le gamin que je fus au bord des terrains, et grâce à l’obstination duquel je suis là, seul en charge de 520 âmes en pleine nuit au milieu de l’Atlantique.
Ce récit, Jacques Darolles l’avait envoyé sur Pilotlist le… 8 mars 1998, plus d'un quart de siècle avant mon vol. Ces derniers temps (depuis que j’ai attaqué la QT 777), j’ai ressorti mon vieil exemplaire du “Plus beau bureau du monde”, le livre de JD édité par Pauline (que j’ai eu le plaisir de croiser chez Transavia, juste avant de partir sur long courrier).
Il y a un quart de siècle, j’avais 25 ans, je débarquais sur le forum FNA (l'ancêtre dy forum des pilotes privés) et sur Pilotlist et je découvrais, parmi les nombreuses talentueuses plumes du forum et de la Liste, celle de Jacques. Les récits de ses rotations en place droite du 747 faisaient rêver le passionné que j’étais, qui n’avait même pas encore commencé sa formation PPL. Ces récits étaient d’autant plus magiques pour moi que je n’imaginais jamais, à l’époque, qu’un jour je deviendrai pilote professionnel, et encore moins que je serai quasiment à la même place, la place droite d’un énorme Boeing, avec une poignée de passagers (et deux réacteurs) en moins.
Dans le même récit, Jacques écrivait : “Je n’oublie pas. Port d’attache : Muret, Haute-Garonne (31)”
Moi non plus, je n’oublie pas.
Je n’oublie pas mes débuts en tant que pilote pro, copilote sur Beech 200, payé 1500 euros par mois, d’astreinte H24, réveillé en pleine nuit par le téléphone pour partir en vol de transport d’organe, dormant dans l'avion pendant que les chirurgiens prélevaient un coeur, des poumons ou un foie, parfois réveillé par le froid dans mon duvet en plein hiver.
Je n’oublie pas le gamin de 17 ans touchant pour la première fois aux commandes d’un avion, dans le Cessna Centurion d’Aviation & Pilote (Privé, à l’époque) avec Jacques Callies, au départ de Lognes. J’y fais aujourd’hui de l’instruction. Lognes (77), port d’attache.
Je n’oublie pas la toute première nav de ma vie, avec Philippe Girault, pour aller à mon premier rascol, à Muret, en 2000.
Je n’oublie pas le fabuleux voyage dans le Nevada, 3 mois après mon PPL, embarqué par trois colibris, Anne-Céline, Emmanuel et Philippe pour aller rendre visite à Jeff, je n’oublie pas nos vols inoubliables là bas, vers Minden-Tahoe airport, Reno ou le petit aérodrome de la Vallée de la Mort.
Je n'oublie pas que c'est grâce au forum FNA et à Philippe que j'ai eu la chance de convoyer un L29 jusqu'en Mauritanie.
Je n'oublie pas les étoiles dans mes yeux quand j'écoutais, pendant un restaurum, PH raconter ses vols de transport d'organes. J'avais commencé mon ATPL, je n'en avais parlé à personne, et je me disais "Qu'est ce que j'aimerais être à sa place", sans imaginer que moins de deux ans plus tard, je serai le copi de PH sur Beech 200...
Mais avant ça, et après le PPL, il y eut plein d'autres expériences en tant que pilote privé, que je racontais dans mon livre "Le ciel est notre terrain de jeu". Puis le CPL-IR, la qualif FI, le Beech 200 au Bourget, le TBM 900 à Strasbourg, l'Avro chez Cityjet à Dublin puis Amsterdam, l'Ejet chez HOP à CDG, le 737 chez Transavia à Orly. Et enfin le 777 chez Air France, ma sixième compagnie et ma sixième qualif en 13 ans.
32 000 pieds sous nos ailes, la Mer Rouge, dont on ne sait pas bien l’origine du nom : confusion entre Erythrus, le nom du roi d’un des rivages qui la baignaient, avec le mot grec “erythros”, désignant cette couleur ? Référence à la façon dont la colorent parfois certaines algues ?
La Mer Rouge, qui s’ouvrit devant Moïse, qui accueillit les exploits d’Henri de Monfreid, qui en partagea les secrets dans son célèbre livre, la Mer Rouge, traversée, au péril de sa vie, par l’écrivain-aventurier Joseph Kessel, pour son fabuleux (et dangereux) reportage sur les marchands d’esclaves modernes, la Mer Rouge qui, de nos jours est à nouveau pleine de périls pour les marins qui y naviguent et qui empruntent le détroit de Bab el Mandel, victimes hier des attaques des pirates des temps modernes, aujourd’hui des drones des Houthis.
Il est 2h00 UTC, j’appelle le CCP en porte 2 gauche, pour savoir si tout va bien en cabine et lui confirmer que je ne me suis pas endormi. “Bon courage, je te rappelle dans 20 minutes !” Si je suis le seul gardien dans la vigie, dans le poste de pilotage, à l’arrière, ils sont 6 hôtesses et stewards pour veiller sur nos 479 passagers. L’autre moitié de nos PNC prend un repos bien mérité dans le poste repos.
C’est ma troisième rotation vers la Réunion en 6 mois. Et la deuxième fois que j’y effectuais l’atterrissage. Hier matin, l’avion était lourd avec, là aussi, près de 500 personnes à bord et suffisamment de carburant pour attendre un peu avant de dégager éventuellement vers l’île Maurice. Nous avions donc décidé d'atterrir sur la piste 12, plus longue que la piste 14 le plus souvent utilisée pour les atterrissages. Comme briefé, on avait intercepté le loc de la piste 14, puis, à 3 nautiques, j'avais déconnecté le pilote automatique, ouvert sur la droite pour prendre un cap 165, le nez du Boeing quasiment pointé vers la ville de Saint-Denis, avant de virer à nouveau, cette fois sur la gauche, pour intercepter la finale 12 et descendre le plan de 5 % à vue (avec l'aide du PAPI), comme en Tecnam à Lognes. Le 777 est 500 fois plus lourd, mais ça se pilote presque pareil !
- Air France Six Three Five, able FL340 ?
- Negative, Air France Six Three Five
Le contrôleur égyptien veut vraiment qu’on monte :
- Confirm you can climb FL340, Air France Six Three Five ?
- Unable, Air France Six Three Five !
J’aime bien dire “Unable”, on a presque l’impression d’être Sully !

Comme on est unable, le contrôleur égyptien me dit qu’il va falloir amender la route, et me balance une rafale de points, que je note et collationne phonétiquement. Et je les insère dans le FMS. LXR, OK, c’est Louxor. AST, ok aussi, c’est juste après. KONKI, c’est au Brésil, ça ferait un gros détour. Ha, KUNKI, c’est mieux. NOGLI, c’est bien aussi. ENTER, je ne trouve pas. ANTAR, par contre, ça nous fait revenir sur la route initiale après un détour à l’ouest du Caire. C’est tout bon !
Il y a presque 7 heures, après le décollage de la Réunion, virage vers la gauche, cap Nord Ouest. J’avais demandé un cap pour éviter quelques cellules orageuses un peu avant d'arriver au large de Madagascar et de passer avec Antananarivo Control. Nous étions arrivés à notre premier niveau de croisière le niveau 300 et j'étais parti prendre le premier repos. Pendant que j'essayais de trouver le sommeil, l'avion était sur l'océan Indien, et pendant que je dormais, le 77 survolait Mogadiscio et la Somalie, puis Éthiopie, puis à nouveau la Somalie, puisque ce pays a une forme de V dans lequel s'enchasse l’Abyssinie. Avant de commencer le survol de la mer Rouge et de passer successivement avec Djibouti puis le contrôle érythréen. Successivement n'est pas le mot exact puisque dans cette zone il faut être en contact avec plusieurs contrôleur aériens et, sur la troisième radio, faire de l'auto-information avec les autres avions. Ca permet d’éviter de se trouver dans la situation du Boeing 787 de Qatar et de l'A350 d’Ethiopian, qui, il y a 2 semaines auraient pu entrer en collision si leur TCAS n'avaient pas joué leur rôle.
Le vol est plus calme qu’à l’aller, où il y avait eu pas moins de trois malaises passagers, heureusement bénins et pris en charge par un médecin. Ca tombe bien, parce qu’entre Djibouti et Le Caire, il y a près de 2000 kilomètres de Mer Rouge, avec un seul terrain accessible entre les deux : Djeddah. Drôle de monde que celui de 2024, où notre routier Lido, sur l’Ipad, est constellé de rouge, de pays ou de zones qu’on ne peut pas survoler, d’aéroports fortement déconseillés pour des raisons de sûreté. La Russie bien sûr (ce qui rallonge les vols vers le Japon), le Mali, la Libye, le Soudan, le Yemen… Tout le trafic se glisse donc entre ces deux derniers états, sur la Mer Rouge, et on jongle avec les fréquences de Mogadiscio, Addis Abeba, Djibouti, Asmara…
La route est plus à l’est que celle empruntée par le 747 de JD, à la fin des années 90, et je n’ai donc pas le plaisir de voir le soleil se lever sur le Kilimandjaro, dans le récit dont je garde le souvenir le plus vif, “Aube africaine”. Mais si, vous vous rappelez bien, celui dans lequel il écrit :
Le gamin que je fus m'accompagne souvent dans mes vols long-courriers. En cette fin de nuit de vol, il est là, je le sens, derrière moi, à regarder par-dessus mon épaule se dessiner la formidable silhouette du Kilimandjaro, qui, droit devant, grand seigneur, est servi le premier dans la distribution de soleil, seule montagne au milieu de la platitude.
Fin de nuit sur l'Afrique, encore 4 heures 30 avant La Réunion. Tu as le nez sur le pare-brise, et tu vois arriver, sur ton 747, le Kilimandjaro, rien que ça. Là, tu es MUET. Parce que c'est grandiose. C'est dans ce genre d'instant que tu comprends que tu as eu raison.”
Il y a 25 ans, je découvrais le forum FNA, Pilotlist et les récits de JD, que je relis aujourd’hui avec un tout autre regard en croisière en place droite du 777, prêtant même (avec précaution), pendant l’escale, à mes CDB, mes exemplaire de “Le plus beau bureau du monde” et “Lignes aériennes”).
Il y a un peu plus de 15 ans, après mûre réflexion, je me lançais dans la reconversion professionnelle pour devenir pilote pro, sans être sûr que je trouverais du boulot, et sans imaginer que je finirais pilote de ligne.
Cette nuit là, alors que le 777 volait entre La Réunion et Paris, je me suis dit, une fois de plus, que j’avais eu raison.